Société créée de fait et société de fait : une différence ?
Une société créée de fait ou une société de fait, deux appellations si proches qu’on aurait tendance à les confondre. Parfois, le droit aime qu’on se mélange les pinceaux. On en dépeint ici les caractéristiques pour vous, afin d’éclaircir ces notions obscures.
Point incontournable : les définitions
Pour clarifier ce qui distingue société de fait de société créée de fait, il est indispensable de s’arrêter sur les définitions de chacune d’entre elles.
Société de fait
Surprise ! Depuis 1978, la société de fait est une dénomination qui a presque disparu du paysage juridique français. À l’époque, si une société était dissoute, il était nécessaire qu’un juge la fasse « revivre » pour que la responsabilité des associés vis-à-vis des créanciers soit bien maintenue. Ainsi, les créanciers pouvaient continuer de réclamer le paiement de leurs créances même si la société n'existait plus dans la pratique.
Depuis 1978, et grâce à l’article 1844-15 du Code civil, il n’est plus nécessaire de recourir à cette étape : les associés demeurent automatiquement engagés des obligations et des dettes que la société a contractées, même après sa dissolution.
Aujourd’hui, on ne peut parler de société de fait que dans un cas unique : lorsque la société n’a pas été formée correctement. Cela signifie qu’elle est entachée d’un vice de constitution. En conséquence, le juge se voit contraint d’annuler cette société et il faut alors recommencer toute la procédure de création à zéro !
Il existe trois causes principales qui peuvent engendrer une annulation de société lors de sa création (et donc sa déclaration comme société de fait) :
Une erreur importante dans les mentions obligatoires figurant dans les statuts de la société (oubli de mentionner la dénomination de la société, nombre d'administrateurs non conforme au minimum requis, etc.)
Une erreur lors de la publication de l’annonce légale (par exemple, une importante faute d’orthographe)
L’absence constatée d’un dépôt de capital dans le temps imparti.
Société créée de fait
La société créée de fait apparaît lorsque des personnes qui n'ont pas créé de société ensemble, agissent comme si c'était le cas. Concrètement, aucun acte de création d’une société commune n’a été élaboré mais :
Des apports (en numéraire, nature ou industrie) ont été réalisés
Les bénéfices et les pertes résultant de leur coopération sont partagés
L’intention de collaborer sur un pied d’égalité pour l’accomplissement d’un projet commun a été exprimée (ce qui exclut de fait la sous-traitance).
Ainsi, la collaboration entre les « associés » donne l’image aux yeux des tiers qu’ils forment une seule et même société.
Un simple coup de main de temps en temps ne constitue pas un apport (en industrie). Il faut que l’associé s’implique de manière récurrente et significative dans la vie de la société.
Pour qu’un prêt soit considéré comme un apport, il faut que le prêteur participe aux pertes et aux bénéfices.
Un exemple pour illustrer notre propos :
Charles et Léa sont deux auto-entrepreneurs, l’un photographe et l’autre vidéaste. Jack, engage Charles pour les photos de son mariage. De plus, il lui demande s’il connaît un vidéaste pour immortaliser le moment. Charles pense immédiatement à Léa et lui propose de travailler avec lui sur cette prestation. Face à la satisfaction de Jack, ils décident ensuite de poursuivre leur collaboration. Ils sont alors amenés à travailler ensemble pour d’autres clients. Une société créée de fait est née puisque les clients croient s’adresser à une société qui aurait pu s’appeler « Charles & Léa, capteurs d’émotion ».
Quels sont les risques et les conséquences ?
Pour la société de fait
De nos jours, une société de fait est une société qui a été annulée pour vice de constitution. Cela signifie que d’un point de vue légal, la société n’existe plus. En revanche, les associés restent quant à eux responsables à titre personnel des actes effectués à travers cette société. Ils deviennent donc aussi responsables des dettes, conformément à l’article 1844-15 que nous évoquions plus haut.
Pour la société créée de fait
Puisque la société n’existe pas officiellement, les associés sont eux aussi responsables personnellement des dettes de leur activité commune face aux créanciers. Concrètement, cela signifie que si un créancier réclame des dettes à cette « société », celles-ci devront être couvertes par les biens personnels des associés.
Pour faire reconnaître ses dettes et se faire payer, un créancier peut demander au juge de reconnaître l’existence de la société afin de la faire dissoudre par la suite. En effet, la dissolution de la société par le tribunal obligera les associés à s’acquitter de leurs dettes.
Autre risque : si un jour l’un des associés décide de ne plus faire partie de cette société, rien ne l’empêche de le faire du jour au lendemain. Il laisse alors son ou ses associés en face du fait accompli, sans véritable recours.
Dans le cas d’une véritable société, une telle décision serait prise en Assemblée Générale Extraordinaire (AGE). Il s’agit en effet d’une procédure encadrée par la loi.
Reprenons l’exemple de Charles et Léa :
Charles et Léa décident également de proposer leurs services dans un local qu’ils louent à Dorian. Dorian est le bailleur du studio photo de Charles. Mais après quelques mois, Dorian ne reçoit plus son loyer. Agacé par l'attente, Dorian souhaite se faire payer au plus vite. Comme Charles et Léa travaillent ensemble, Dorian peut tout à fait décider de prouver l'existence d'une société créée de fait entre les deux entrepreneurs. Cela lui permettra d'exiger le paiement de son dû aussi bien auprès de Léa que de Charles. En effet, la responsabilité solidaire et illimitée s’applique aux deux entrepreneurs dès lors que la société créée de fait est reconnue.
Dans ce genre de situation, l’URSSAF peut alors estimer que les auto-entrepreneurs ont bénéficié du taux de cotisation avantageux du régime de la micro-entreprise alors qu’ils forment en réalité une société. Une régularisation des cotisations peut donc être exigée !
C’est pourquoi il est important de ne pas attendre pour requalifier votre entreprise (ou micro-entreprise) en société si vous travaillez main dans la main avec un autre entrepreneur.
Il ne faut pas confondre société créée de fait et société en formation. La société en formation ne dispose pas encore d’une personnalité morale, car elle est en cours d’immatriculation. Dans ce cas-là, les associés s’en tiennent à des actes préparatoires à la création de l’activité (achats de matériels, souscription d’emprunts, signature des statuts, conclusion d’un bail commercial, etc.).
Autre forme à ne pas confondre : la société en participation. Tout comme la société créée de fait, la société en participation n’est pas immatriculée. Toutefois, les associés ont exprimé leur souhait de créer un groupement, mais ont choisi de ne pas l’immatriculer. Responsables des dettes et actes réalisés, les associés ont néanmoins déclaré la société auprès du service des impôts des entreprises. Par opposition, les associés d’une société créée de fait n’ont même pas conscience que leur collaboration a créé une société aux yeux des autres.
Le cas spécifique du concubin collaborateur
Il est fréquent qu’entre concubins, l’un aide l’autre dans l’exploitation de son activité, sans pour autant disposer d'un statut spécial, ni même d’une rémunération.
Imaginons un fonds de commerce qui n’appartient qu’à l’un des concubins : un boulanger et sa compagne. Celle-ci va l’aider dans l’exploitation de son fonds de différentes manières, par exemple en tenant la caisse ou en servant les clients. Au fur et à mesure des années, la valeur du fonds augmente grâce à la collaboration des deux concubins. Malheureusement, un jour ils se séparent. La concubine n’est pas en mesure de réclamer ou reprendre quoi que ce soit, car le fonds appartient seulement au boulanger.
À moins qu’elle fasse constater, devant le juge, que leur ancienne collaboration équivalait, dans les faits, à une collaboration entre associés d'une même société. Dans ce cas, elle va démontrer que la société, qui est donc considérée comme créée de fait, est à présent dissoute (due à leur séparation) et que leur association a généré un bénéfice. Comme dans toute société, lorsque celle-ci est dissoute, le bénéfice doit être distribué entre les associés. Le boulanger devra donc verser à son ex-concubine une somme équivalant à une partie de la plus-value du fonds.
En pratique, on ne retrouve plus de sociétés de fait à l’exception de celles mal constituées et immédiatement annulées par le juge. En revanche, la société créée de fait peut éclore naturellement de la collaboration d’individus qui n’ont même pas conscience qu’ils apparaissent aux yeux des autres comme une société. Ce régime précaire comporte cependant de nombreux risques.
Dans ce cas-là, il est important de régulariser votre situation en créant une société commune afin de vous prémunir de tout aléa. Nos experts pourront vous guider !